JOUR 1

Jour 1 – Vendredi 7 septembre – Bourré (Cher) – Muscat (Sultanat d’Oman)

Why ?

Ce matin au réveil, une question lancinante : « pourquoi partir ? » Cette interrogation ne m’a pas quitté de la journée. Musique entêtante. Jusqu’à cette première nuit que nous passons tous les quatre en plein ciel. Vol de nuit… Tous dorment et moi, je suis coincé. Non pas comme Saint-Ex dans un cockpit exigu la tête bardée de cuir et chaussé d’épaisses lunettes de verre, seul au-dessus des Andes, perdu dans le froid et l’immensité d’un ciel étoilé. Non. Coincé sur le siège 36F (donc bien au milieu) d’un A330 bondé de la compagnie Oman Airlines, au milieu d’une foule transhumante et néanmoins endormie. Le dos en peine, un PC sur les genoux et la tête de ma fille qui s’abandonne sur mon épaule droite, m’interdisant tout mouvement un peu ample. Vive le transport aérien de masse !

Saint-Ex redoutait à raison ce monde qu’il voyait poindre. Mécaniste, techniciste, économiste.             Vulgaire. Dicté par le profit et la productivité. Le vol de nuit pour tous a perdu toute saveur de liberté et d’effroi. Un coup d’œil à la carte « en vol » m’apprend que nous survolons Mosul. Mosul… instant de malaise : que nous disent les infos de Mosul depuis des mois ? Ville syrienne bombardée ? Par qui ? Poutine ? Bachar ? Les deux sans doute. Pas de connexion et donc pas de Wiki pour combler ce trou de mémoire. Honte à toi, Pierre ! petit Français à l’abri des épreuves du monde. Loin des souffrances du peuple, Gavé d’infos et de vérités définitives sur le bien et le mal.

Peut-être est-ce là l’intérêt du voyage. L’intérêt de notre modeste périple de cent-trente jours à travers l’Asie. Se rappeler le monde, ses horreurs et sa beauté. Voir et sentir le bonheur comme la misère. Humer les fumets des cuisines au charbon, humer les premières gouttes de pluie sur un chemin de poussière desséchée, humer les moiteurs d’une forêt qui n’a plus rien de primaire et la merde des villes. Prendre en pleine gueule les visages balafrés, les sourires édentés et la saleté des rues. Se réjouir d’un sarong éclatant noué d’une main experte ou d’une porte de bois finement ciselée aux motifs écaillés. Penser partager un instant le sort des peuples.

Lu à propos ce matin même, en ce premier jour de départ, dans la gare de Montrichard, sur une fresque où les châteaux de la Loire se mêlaient à des paysages bucoliques et improbables, une citation de Lamartine : « Un homme complet est celui qui a voyagé beaucoup, qui a changé vingt fois d’esprit et de manière de vivre. » Qu’il nous soit donc donné de changer d’esprit et de manière de vivre. Ce luxe autrefois réservé à une certaine jeunesse aristocrate anglaise, savourons­-le. La petite musique entêtante s’est tue, pour quelques heures au moins. Elle ne saurait manquer de renaître au détour d’une rue, d’un regard…

 

Pierre

2 commentaires

  1. Thesmier dit :

    C est tellement beau le monde, ouvrez grand tous vos sens profitez bien les amis

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  2. A reblogué ceci sur Pierre Foucher, auteuret a ajouté:

    Je republie ici une série d’articles que j’ai écrits lors de notre périple familial en Asie. Sultanat d’Oman, Bali, Singapour, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande.
    Voici celui de notre départ.

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