« J’ai gravé cela dans la roche, et ma vengeance est écrite dans la poussière du rocher »
E.A. Poe, incipit aux Aventures d’Arthur Gordon Pym
La Croix du Sud…
Une petite constellation de l’hémisphère du même nom. La plus petite, même ! Petite, mais… costaud !
Pourquoi est-elle encore aujourd’hui si renommée ? Pour les marins d’antan, la Croix du Sud était le pendant de l’Etoile Polaire. Bien que non alignée directement sur le sud, en traçant une droite passant par deux de ses étoiles et en reportant 4,5 fois leur distance, on tombait pas loin du sud céleste.
Cette constellation a été si importante pour les explorateurs et marins qu’on la retrouve aujourd’hui sur les drapeaux :
de l’Australie
du Brésil
de la Papouasie-Nouvelle-Guinée
des Samoa
de la Nouvelle-Zélande
De Niue
du Territoire-du-Nord
De l’Île-Christmas
des Îles-Cocos
Des Tokelau
Pour ma part, cette constellation qu’on ne peut voir que dans l’hémisphère sud, reste liée à deux souvenirs très forts.
L’un lointain et, comme souvent pour les souvenirs d’enfance, reconstitué par les récits et les images projetées et partagées en famille.
L’autre date aussi puisqu’il remonte à mon adolescence et à un grand souvenir de lecture : les Aventures d’Arthur Gordon Pym, premier et unique roman d’Edgar Allan Poe. En effet, peu satisfait de son œuvre, la reniant en partie (il l’avait présentée comme un récit authentique d’un naufragé des Mers du Sud, ce qui avait provoqué une critique très virulente, le récit étant fort peu réaliste et incohérence suprême, le narrateur ne pouvant avoir survécu à ce voyage sans retour, il ne pouvait l’avoir écrit !), Poe abandonnera cette forme de récit pour se consacrer à la nouvelle, faisant de lui le père incontesté du récit fantastique et du roman policier (excusez du peu !).
Ce roman, bien qu’un peu maladroit, avait enflammé l’imagination de l’adolescent assoiffé d’aventures et d’ailleurs que j’étais. Pym et son compagnon y découvrent un continent étrange (« …dans les ruisseaux coule une eau pourpre, qui a une consistance proche de celle de la gomme arabique… »), peuplé de sauvages à dents noires et de bêtes étonnantes (« …à dents et à griffes rouges, à queue de rat et à tête de chat avec des oreilles de chien, dont le corps est entièrement recouvert de poils blancs… »). Et la fin du livre est proprement hallucinante. Je ne la dévoilerai donc pas, vous n’avez qu’à le lire !
Et ce premier souvenir ? me demanderont ceux qui, arrivés jusqu’ici, font preuve à la fois de courage et d’attention -je les en félicite. J’avais donc quatre ou cinq ans et nous étions à bord du Pierre Loti, paquebot à bord duquel nous rejoignions Madagascar depuis Marseille en faisant le tour de l’Afrique, le Canal de Suez étant fermé depuis 3 ans pour cause de conflit israélo-égypto-palestinien. Nous sommes aux début des années 70. Il ne sera rouvert en grande pompe par Sadate que dans 5 ans.
Au cours de ce voyage en direction de l’hémisphère sud (vingt-quatre jours de mer !) nous avons bien entendu croisé l’équateur. Pour les marins, le passage de cette ligne imaginaire, encore maintenant, ne peut se faire sans baptiser ceux qui ne l’auraient pas encore traversée. Traditionnellement, ce baptême donne lieu à un véritable rituel au cours duquel Neptune, Seigneur des Mers et des Océans, furieux que les nouveaux venus ne lui aient pas demandé l’autorisation de changer d’hémisphère, ordonne que ces derniers traversent un tunnel obscur peuplé de démons aux faces hideuses et soient jetés dans un bassin d’eau salée, symbole de purification et de la naissance de ces nouveaux marins.
Chaque équipage met en scène avec beaucoup d’application ces rituels en improvisant avec les moyens du bord. Je sais que pour mon père et moi, ce fut une cérémonie impressionnante.
passage de la ligne dans la Navy en 1941
L’équateur… À l’instant même où j’écris ces lignes, ce lundi 22 octobre à minuit, je le croise au-dessus du Pacifique, depuis Osaka, à destination de Sydney, escale sur la route de Christchurch en Nouvelle-Zélande. Je passe donc l’équateur au milieu de passagers assoupis, à 37000 pieds de hauteur, sans cérémonie aucune. Quant à la Croix du Sud, qui la regarde encore ? Pas moi, hélas, j’ai le siège 28F, bien au milieu de cet A 330-200.
Arriver vite, toujours plus vite, dans l’inconfort d’avions toujours plus remplis et bientôt sans hublots[1]. Mais en sécurité et l’esprit occupé. Oui, car à l’heure des écrans, l’esprit doit être occupé, l’ennui n’est plus permis. L’ennui qui était l’essence même du voyage et de son temps long. L’ennui qui invitait à la rêverie. L’ennui si propice à l’invention de récits fantastiques. De nos jours, on ne s’ennuie plus, on attend impatiemment la fin du voyage, la délivrance. Moi, je me languis de l’ennui.
[1] Le prochain supersonique en sera dépourvu, c’est cher et inutile. Les ingénieurs de la NASA en avaient d’ailleurs dépourvu la première capsule Apollo. Il avait fallu une menace de grève des astronautes du programme (!) pour qu’ils en rajoutent.
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Illustration : Marc Chagall – L’épaisseur des rêves
A reblogué ceci sur Pierre Foucher, auteuret a ajouté:
Je republie ici une série d’articles que j’ai écrits lors de notre périple familial en Asie. Sultanat d’Oman, Malaisie, Bali, Singapour, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande.
Voici celui évoquant la fameuse constellation australe.
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